Avignon 2025 : un théâtre sans sens ni engagement pour fuir l’époque

Le Festival d’Avignon 2025 inaugure la « Zone Décontaminée du Réel » pour échapper à l’engagement sociopolitique

Dans un geste aussi radical que, peut-être, désespéré, le Festival d’Avignon 2025 a officiellement ouvert ce vendredi matin ce qu’il appelle sa première « Zone Décontaminée du Réel ». Installée dans les souterrains du Palais des Papes, cette bulle aseptisée promet de « débarrasser les spectateurs de tout contexte social, politique ou climatique » pendant 82 minutes chrono — durée d’un spectacle homologué par l’Organisme pour la Préservation du Théâtre Apolitique (OPTA), créé pour l’occasion.

« C’est une avancée pour l’imaginaire pur, libéré des chaînes de l’actualité », a déclaré sobrement Antoine Caussidère, directeur artistique de la nouvelle section. « Ici, l’acteur n’incarne ni genre, ni classe sociale, ni même espèce identifiable. Il joue, c’est tout. Il peut être un nuage, une porte ou un sandwich maison. Rien de ce qu’il dit n’aura de rapport avec le monde extérieur. C’est un théâtre enfin propre. »

Des combinaisons anti-idéologie pour le public

L’entrée dans la Zone est rigoureusement encadrée. Les spectateurs doivent revêtir des combinaisons blanches en néoprène conçues pour « bloquer les projections idéologiques par contact cutané », selon les concepteurs. Un badge « neutralité émotionnelle » est scanné avant l’accès à la salle, et tout portable est échangé contre une brique en mousse sans application. Il est interdit, pendant les représentations, de rire de manière connotée (rire jaune, rire sardoniquement militant, rire intersectionnel), sous peine d’être reconduit dans le monde réel par le Comité de Surveillance Esthétique (CSE), armé de dictionnaires de Roland Barthes.

Un espace sans message, sans contexte, sans budget

Interrogé sur la nature des œuvres présentées dans la Zone, le programmateur Charles Ganibald répond avec fierté : « Nous avons sélectionné des pièces rigoureusement dénuées de toute signification. Dans ‘Glouglou #7’, par exemple, deux comédiens en crocs dansent nus sur du silence pendant 68 minutes. C’est une œuvre courageusement fermée au monde. Elle ne veut rien dire et n’y parvient à merveille. »

La directrice du Département Prospective du Ministère de la Culture, présente lors du lancement, a exprimé son soulagement. « C’est reposant, enfin, de voir une création qui ne m’oblige pas à questionner les rapports de domination dans la pâte feuilletée. C’est du théâtre qui ne me regarde pas. Littéralement. »

Polémiques en sourdine chez les spectateurs naturels

Certains professionnels ont toutefois exprimé leur malaise. « Évacuer le réel, c’est aussi évacuer les spectateurs », regrette Clara Dubord, metteuse en scène militante pro-champ lexical. « On ne peut pas tout diluer dans l’esthétique du vide. Même les nuages ont des revendications aujourd’hui. »

En réponse, le comité scientifique de la Zone a diffusé un communiqué : « Les formes artistiques engagées ont leur place, mais nous croyons aussi aux vertus détoxifiantes d’une narration sans contenu. Une pause dans l’absurde bavardise du monde. » Sur les réseaux, le mot-clé #ThéâtreSansIssue a tendance, bien qu’il se dispute la place avec #RetirezMoiCetteCombinaison.

Vers une exportation dans les écoles de théâtre

Fort du succès de ses 4 représentations à guichet fermé (nombre total de spectateurs : 9), le dispositif pourrait être élargi à d’autres événements : un module mobile est déjà à l’étude pour le Printemps de Bourges, et un partenariat serait en cours avec l’École Supérieure d’Art Dramatique de Strasbourg, pour un atelier intitulé « Apprendre à jouer sans rien dire, ni penser, ni illustrer ». Slogan : « Le fond, c’est surfait. »

Selon les concepteurs, la « Zone Décontaminée du Réel » n’est qu’un début. Le Festival d’Avignon envisagerait déjà pour 2026 une « Salle Blanche de l’Esthétique Totale », dans laquelle même le concept de théâtre serait remis en question. Mais ça, c’est une autre absence d’histoire.

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