Marseille inaugure un circuit touristique inédit : « Sur les traces de l’incurie urbaine »
Dans un élan d’auto-dérision assumée et de valorisation alternative du patrimoine, la ville de Marseille a lancé un nouveau concept de visite guidée : « Sur les traces de l’incurie urbaine ». Cette initiative, portée par l’Office de Tourisme et de Réparation Morale, propose une traversée commentée du centre-ville, au cœur des vestiges de la désorganisation administrative. Casques de chantier en option.
Le départ s’effectue place des Réformés, “symbole d’une ville qui réforme surtout… par effondrement”, plaisante le coordinateur du projet. Le circuit serpente ensuite à travers les rues de Noailles, en passant devant des immeubles dont même la date de construction hésite à se manifester. Une application mobile permet de suivre en temps réel les désastres signalés et jamais traités depuis 2014.
Le clou de la visite reste l’arrêt devant une façade murée où une plaque commémorative provisoire indique : « Ici le temps a fait son œuvre. L’administration, moins. » Un guide agréé – ou du moins très bavard – retrace alors avec passion les grandes étapes de l’inaction publique : du rapport oublié dans une armoire à la réunion de crise déplacée à la buvette.
Une immersion totale dans la tradition municipale du “plus tard, peut-être”
Décrite par le prospectus officiel comme un “city tour sarcastico-patrimonial”, la visite valorise ce que certains appellent désormais les “ruines du futur immédiat”. Jean-Michel Patachon, urbanologue de comptoir et consultant pour la start-up Guid’Galère, encense le projet : « Ce n’est pas une moquerie, c’est un hommage vivant à l’art de bricoler l’urgence sur du provisoirement définitif. »
Il précise aussi que certains trottoirs du circuit ne seront pas carrossables pour cause d’effondrement, ce qui « renforce l’interface entre théorie et pratique municipale ».
Des témoignages de visiteurs abondent. Corinne, venue de Toulouse, raconte : « On a traversé une cour où le panneau “Danger : chute de plâtre” semblait lui-même vouloir se suicider. On se sentait comme dans un escape game géant, mais sans échappatoire. » Charles, lui, apprécie la présentation muséale : « Le guide a comparé un immeuble insalubre à une lasagne : plusieurs couches, pas très nettes, et humides depuis longtemps. C’est fin. »
Un souvenir inoubliable : la carte postale d’un chaos institutionnalisé
En fin de parcours, les touristes peuvent repartir avec un kit souvenir « Patrimoine en perdition » comprenant :
– une carte interactive des bâtiments en péril (mise à jour tous les sept ans),
– un badge “J’ai survécu à un trottoir fissuré à 12%”,
– et un marque-page reprenant une citation apocryphe du service d’urbanisme : « On est dessus. »
L’initiative suscite néanmoins quelques débats. Certaines associations dénoncent une “muséification du drame” quand d’autres saluent une “pédagogie par l’absurde”. Elle a toutefois le mérite de rappeler que derrière le folklore bétonné, ce sont les habitants qui, eux, n’ont jamais déserté.
En tout cas, le concept inspire déjà d’autres villes. Saint-Étienne envisagerait un « Safari ZAC en friche » et Paris testerait un audioguide “Travaux éternels & mobiliers urbains en roue libre”.
À Marseille, on espère désormais que ce tour de l’immobilisme deviendra un moteur pour… ne pas changer trop vite.
Prochaine session : mardi à 15h, si les barrières de sécurité tiennent encore.